Tribune parue dans Les Échos le 1er novembre 2024
Le projet de loi de financement de la sécurité sociale 2025, en cours d’examen au Parlement, illustre une fois encore l’impuissance politique à réformer, en particulier en santé.
Certes, le gouvernement au pouvoir n’a eu que quelques jours au lieu de quelques mois pour préparer ce budget, mais les défis à relever pour rendre soutenable notre protection sociale sont connus depuis deux décennies. Nos politiques ne sont pas obligés de s’y intéresser que deux mois par an.
Les mesures proposées dans ce budget sont dans la continuité des budgets précédents, ce qui est déjà contestable considérant les pénuries et la désorganisation des soins engendrées par ces derniers. Cependant, comme le rabotage des prix des prestations de santé atteint ses limites, le gouvernement passe à l’étape de déconstruction du modèle universel et solidaire de santé.
Les mêmes causes produisent les mêmes effets
Nous savons que le vieillissement de la population en mauvaise santé (50% des gains d’espérance de vie) génère une hausse exponentielle de la demande de soins de plus en plus coûteux pour soigner plus de treize millions de patients chroniques, dont le nombre augmente de 4% par an.
Nous savons que seul un changement de stratégie de gestion du risque en santé vers une politique de santé publique forte dans le maintien en bonne santé, qui nécessite une transformation profonde du système, répondra efficacement à ce défi démographique et épidémiologique.
Nous savons que la gestion comptable aveugle de baisse des prix des prestations de santé (produits et services) pratiquée depuis 20 ans, qui a conduit la France à un niveau de prix en santé 30% plus faible que la moyenne de l’OCDE, aggrave mécaniquement la pénurie du personnel dans les hôpitaux, dans les territoires et des médicaments dans les pharmacies.
Nous savons tout cela, et pourtant le budget 2025 tombe dans cette facilité du rabot sur les prix des médicaments et les rémunérations des soignants, en suggérant même la voie autoritaire étatique (art 15).
Une destruction du système universel en marche
Outre la suppression de ce qui reste de démocratie sociale et sanitaire dans le système, un gouvernement sans esprit réformateur est condamné à déconstruire le modèle de santé français, en transférant du remboursement public vers le privé.
Une des spécificités de la santé est que le financement privé coûte beaucoup plus cher que le financement public.
Une vérité récemment démontrée en France.
Octobre 2023, le gouvernement baisse le remboursement public de 70% à 60% sur les actes dentaires. Le résultat est mécanique : hausse des cotisations des complémentaires santé de 10% en 2024, soit une augmentation des cotisations des mutuelles de 4 Mrds € (au lieu de 1 à 1,5 Mrd€ par an les années précédentes), pour des économies estimées à 500 M€ pour l’assurance maladie. En 2024, l’économie d’un euro pour la sécu a donc coûté in fine 5 euros aux assurés du privé.
Frais de gestion incontrôlés (20% des cotisations), opacité du marché faussant la concurrence et la liberté de choix de la demande, fortes inégalités entre les inactifs et les actifs, la solution de facilité de ce transfert public vers privé dans un tel contexte est déconcertant de laxisme et d’impuissance.
Octobre 2024, le gouvernement remet les couverts de la privatisation partielle, pour la consultation médicale cette fois, dont le remboursement public baissera de 70% à 60%.
La conséquence sera une hausse à deux chiffres du coût des contrats privés en 2025, soit environ +250 € par retraité, avec de fortes inégalités sociales engendrées puisque le taux d’effort pèse avant tout sur la classe moyenne.
Pas de maitrise des dépenses sans restructuration du système
Les trois défis contemporains à relever en santé – permettre un vieillissement en bonne santé de la population, optimiser le parcours de soins des patients chroniques, et diffuser massivement les innovations, sans lesquelles les gains d’efficiences sont marginaux – exigent de restructurer l’ensemble du système.
Concernant les économies à court terme, M. Barnier pourrait regarder du côté de la réforme du système de financement et de la gouvernance de la santé en France.
Le passage d’un financement à deux financeurs pour la même prestation (sécu + complémentaires) à un système à un seul financeur où le financeur privé aurait la charge de prestations spécifiques et distinctes (centrées sur la prévention) de la sécu générerait des économies immédiates de plusieurs milliards d’euros, tout en améliorant la lisibilité et l’efficacité de la gestion du risque santé.
Quant à la gouvernance, le principe est de la professionnaliser et de la décentraliser, comme ce fut le cas au XXème siècle avant l’étatisation du système.
Que ce soient les agences sanitaires régionales ou les grands hôpitaux publics, la gouvernance doit être dominée par des compétences scientifiques en santé et gérer les ressources au plus près des besoins, pour minimiser la bureaucratie et optimiser l’efficience.
La technostructure doit redevenir l’intendance au service des professionnels et des usagers et non pas le seul réel pouvoir de décision.
Avec un déficit prévisionnel en 2028 de 20 Mrds€, ce budget social démontre que la politique de l’autruche et l’affaiblissement de l’universalité du système de santé ne sont pas des solutions pour redresser les comptes.
En revanche, ils illustrent l’incapacité de nos générations à réinventer une société solidaire à ce stade !
Pourquoi Frédéric Bizard ne fait pas parti de l’équipe du ministre de la santé ! Depuis le temps qu’il écrit connaitre les solutions au problème chronique du financement de notre système social, ce serait bien de lui donner sa chance, non ?