Le projet de loi de financement de la sécurité sociale 2022 (dit PLFSS 2022) vient d’être voté au Parlement dans une quasi-indifférence générale. Pourtant, il marque une sortie de route durable des comptes sociaux, sans perspective de retour à l’équilibre à moyen terme et un niveau de dépense de 581 milliards €, soit 1,5 fois le budget de l’Etat.
La cause principale des déficits en 2020 et 2021 s’appelle la Covid, même si on peut s’interroger sur la pertinence économique et politique de faire porter par la sécurité sociale la dette Covid. Il en est de même pour la reprise de la dette d’hôpitaux qui, appartiennent à l’Etat et sont gérés par l’Etat.
Après un déficit de 40 et 35 milliards d’euros en 2020 et 2021 respectivement, le déficit de la sécu se maintiendrait à une quinzaine de milliards d’euros en 2025, tout en considérant que la Covid n’aura plus d’impact après 2022. L’analyse des comptes de la sécu d’ici à 2025 illustre avec force que l’essentiel du problème de notre modèle social repose sur branche santé, ce qui suggère que remettre sur pied cette santé est aussi l’essentiel de la solution.
Des trajectoires financières éloquentes
Le PLFSS 2022 donne des indications claires sur la situation des différents secteurs de la sécu. Les branches AT-MP et famille sont structurellement excédentaires à moyen terme (+ 10% à 15% du budget en 2025), la branche vieillesse est en léger déficit (-3%) et la branche maladie est structurellement largement déficitaire avec des chiffres prévisionnels de déficit de 15 milliards en 2025. La branche dépendance, qui devrait être intégrée à la santé, est déficitaire jusqu’en 2023 tout en n’intégrant pas la hausse nécessaire des dépenses pour répondre aux besoins croissants d’ici à 2025.
La situation tant décriée de notre protection sociale se concentre principalement sur la déliquescence de notre système de santé qui exige une refonte globale. Le reste est avant tout un arbitrage budgétaire. Que faire des excédents des branches AT-MP et famille : des politiques sectorielles plus généreuses, une baisse des charges, le financement du déficit des branches ou le remboursement de la dette sociale ? Il eut été utile d’en débattre au Parlement, ce qui n’a pas été fait !
Le déficit des retraites se règle en retardant d’un an l’âge moyen du départ en retraite (un gain de 10 milliards d’euros), ce qui peut se faire de plusieurs façons, par incitation ou par obligation en fonction des visions politiques. Avec un taux d’activité des 55-64 ans (57% en 2019) parmi les plus faibles de l’Union européenne (60% en moyenne, 73% en Allemagne), un âge effectif de sortie du marché du travail le plus bas de l’Union européenne, on pourrait penser que cet objectif de report d’un an soit relativement facile à atteindre.
En revanche, si on en juge par l’espérance vie en bonne santé des hommes qui est en France parmi les plus faibles d’Europe, qui stagne à 62,6 ans depuis 10 ans, et des inégalités sociales de santé parmi les plus élevées d’Europe, on voit que l’affaire se complique, du fait d’une absence de politique de maintien en bonne santé. On en revient à la refonte du système de santé, priorité politique numéro 1, sans quoi rien n’est possible pour rénover efficacement notre protection sociale.
La bombe à retardement financière du Ségur de la santé
Les principales mesures budgétaires intégrées dans le budget de 2022 sont liées aux négociations du Ségur. Face au choc de la première vague, le gouvernement de l’époque a décidé d’appliquer le quoi qu’il en coûte aux rémunérations du personnel hospitalier pour permettre aux hôpitaux de faire face à la pandémie. Ce budget porte les stigmates de la double erreur du Ségur : l’absence de réforme structurelle d’une part et la non prise en compte des compétences du personnel et de la pénibilité des tâches dans les revalorisations d’autre part.
Le budget exprime, tout en en sous-estimant son impact, la bombe à retardement financière d’une hausse des rémunérations uniforme au sein de l’hôpital. De 8,5 milliards d’euros dans les décomptes initiaux du Ségur en 2020, la facture est montée à 12 milliards d’euros en 2021, auxquels il a fallu ajouter 120 millions d’euros en cours d’examen parlementaire pour les 20 000 salariés des établissements pour personnes handicapées. Les revendications continueront tant que chaque salarié de la santé n’aura pas eu la hausse nominale attribuée à l’hôpital, et tant que les demandes légitimes de prise en compte des valorisations des compétences et de la pénibilité n’auront pas été satisfaites.
L’expression d’une impuissance politique
Face à la dégradation de l’organisation des soins, les politiques doivent montrer qu’il agit. L’examen à l’Assemblée Nationale du PLFSS 2022 a donné lieu à des amendements pour gérer la pénurie médicale, en démédicalisant la prescription de lunettes et l’accès aux kinésithérapeutes. Si un mouvement de transfert de tâches est nécessaire, celui-ci doit être réfléchi globalement, fondé sur des réalités scientifiques et technologiques, réalisé avec les professionnels de santé et construit dans un esprit de revalorisation de tous les métiers. Dans ce cas, le seul esprit est la gestion de la pénurie médicale, ce qui ne conduira qu’à l’accélérer, comme à l’hôpital où une démédicalisation de la gouvernance a été réalisée en 2009.
Le budget santé du PLFSS 2022 sous-estime les dépenses courantes des prochaines années, sachant que ces nouvelles dépenses salariales sont entièrement financées à crédit. La dette sociale est déjà à 161 milliards fin 2021 ! L’argent magique des banques centrales a fait perdre conscience qu’une dépense sociale se finance durablement par une recette et non un déficit qui s’accumule dans une dette payée par les futures générations. Quand la mer de l’achat massif d’obligations par les banques centrales va se retirer (courant 2022), la pression sur les comptes sociaux imposera une politique d’austérité sociale, probablement intenable politiquement et socialement.
Que ce soit des amendements gadgets ou le vote d’un budget social sans perspective de retour à l’équilibre, le PLFSS 2022 est bien le signe actuel d’un sentiment d’impuissance politique concernant notre modèle social. Ce vote aurait pu être accompagné d’un consensus national au Parlement sur l’absolue nécessité de réaliser courant 2022, quel que soit le prochain Président de la République, la refonte générale de notre système de santé, dont on a vu que c’était la pierre angulaire d’une remise sur pied de la sécurité sociale. Pour paraphraser le stratège de la campagne de Bill Clinton en 1992, le PLFSS 2022 et la campagne pour 2022 peuvent se résumer en une phrase : « it’s the health stupid ».
Le projet de Grande Sécu peut être une bonne porte d’entrée pour lancer le débat sur le nouveau modèle de santé ! Il semble qu’à peine ouverte, cette porte ait été déjà refermée par le gouvernement, signe supplémentaire de l’impuissance politique du moment sur des sujets prioritaires pour les Français !