Septembre 2008
La Santé, comme l’Education Nationale, est un sujet où tout projet de réforme déclenche de telles passions qu’il est catalogué par les pouvoirs publics dans la rubrique « Dossier brulant à n’ouvrir qu’en cas d’impérieuse nécessité ». Les projets sont concoctés entre experts, les responsables professionnels et partenaires sociaux sont reçus en catimini dans les ministères et le débat public quasi inexistant à cause du manque de pédagogie. Le projet de réforme de l’hôpital de fin 2008 n’échappe pas à cette règle, alors qu’il est pourtant destiné à sauver nos hôpitaux publics et donc notre système de santé.
Les éléments suivants ont largement contribué à la crise du secteur hospitalier public :
La gouvernance administrative hospitalière est devenue un mille-feuille de règles éloignées de la réalité du terrain et de la gestion qui génère de l’improductivité. Malgré l’ordonnance de simplification de 2003, l’architecture régionale sanitaire demeure d’une grande complexité.
Un financement jusqu’à 2004 basé uniquement sur un budget Global inadapté à un environnement financier contraint et à la recherche de gains de productivité.
La préservation de nombreux petits hôpitaux publics (plus de 300), à trop faible activité pour assurer une bonne sécurité et qualité des soins. Ceci dû au contrôle de la direction par les politiques locaux pour lesquels la conservation de leur électorat passait par celle de leur hôpital.
Les dissensions internes et luttes de pouvoir incessantes dans le monde hospitalier entre public-privé, parisiens-provinciaux, administratifs-professionnels de santé, chefs de services-praticiens…qui rendent inaudibles et font perdre du crédit aux propositions venant du secteur médical.
Plusieurs mesures intéressantes ont été prises depuis 10 ans comme le renforcement des droits des usagers, la création de la Haute Autorité de Santé, la réorganisation de l’hôpital en pôle d’activité et l’accroissement du pilotage régional. Le Président Nicolas Sarkozy a aussi eu le courage de faire tomber le tabou de la révision de la carte hospitalière. En revanche, d’autres réponses déjà appliquées ou en voie de l’être sont des remèdes pires que les maux ou sucitent des réserves.
La généralisation en cours de la tarification à l’activité (T2A) est une arme fatale contre la viabilité financière des hôpitaux publics. Les fameux codes sensés représentés des groupes « homogènes » de séjour sont largement sous-tarifés pour plusieurs catégories de patients (qui fréquentent majoritairement les hôpitaux publics). Il y a donc des malades rentables et des malades non rentables. Pour le diabète par exemple, un patient dialysé ou amputé rapporte plus qu’un patient hospitalisé pour prévenir l’amputation et la dialyse. La T2A à 100% induit inévitablement la sélection des patients, la dégradation de la qualité des soins (des hospitalisations courtes mais répétées pour une pathologie mal soignée sont plus rentables qu’une hospitalisation longue avec des soins de qualité) et l’inflation des coûts (pour optimiser le codage, il suffit de « gonfler » la gravité de l’état du patient).
Le projet de loi Bachelot prévoit notamment d’organiser des communautés hospitalières de territoire, de renforcer le pouvoir des directeurs hospitaliers et de créer des agences Régionales de santé (ARS). Si l’action des hôpitaux et des autres professionnels d’une région est enfin basée sur des problèmes techniques de santé à résoudre et non des préoccupations électorales des maires, le client pourrait y gagner. Les agences régionales actuelles ne faisaient que des arbitrages de dépenses, indépendamment des enjeux sanitaires. Si l’élaboration à l’échelle loco-régionale de synergies entre centres de soins est nécessaire, la nouvelle organisation administrative des ARS ne doit pas devenir un nouvel échelon de l’organigramme hospitalier, déjà surchargé (URCAM, CRAM, DRASS, ORS…). En plus du pouvoir légal qu’avait le Préfet de région, il aura bientôt un pouvoir financier en prenant la présidence des conseils de surveillance des ARS. Le client consommateur vérifiera que ce nouveau modèle d’organisation lui apporte un bénéfice!
On peut évoquer plusieurs pistes de réformes dont certaines sont déjà appliquées avec succès à l’étranger.
Rendre le management des hôpitaux publics plus autonome et le confier à des gestionnaires aguerris dotés d’une meilleure connaissance du terrain. Il faut davantage inciter les professionnels de santé à se former au management et à la gestion afin de leur donner davantage de poids dans la direction des hôpitaux. Il est indispensable de réconcilier les mondes de la médecine et de la gestion.
Mettre à disposition des usagers les informations sur la qualité des soins et les prix pratiqués à l’hôpital. La transparence est génératrice de gains de productivité. Saluons le renforcement de la transparence des prix en médecine de ville qui vient d’être instauré par Mme Bachelot. A l’hôpital, les données sont disponibles pour aller bien plus loin et permettre aux usagers de choisir leur hôpital. Les sites des ministères de la santé américains (hospitalcompare.hhs.gouv) et anglais (nhs.uk) donnent déjà la possibilité à leurs citoyens de le faire. C’est en donnant plus de pouvoir à l’usager, en basculant notre système de santé vers l’individu, qu’on fera baisser les coûts tout en améliorant la qualité des soins.
Développer des réseaux spécialisés et intégrés de santé pour améliorer la qualité et réduire les coûts de la prise en charge des affections de longue durée (ALD). Le coût élevé des ALD – 64% des dépenses de la sécu en 2007 et 70% en 2015, 7.7 millions de personnes en 2007 – est due à la fragmentation excessive de notre offre de soins. Ces réseaux seraient entrepreneuriaux, centrées sur les patients, contrôlés par les professionnels et basées sur des alliances public-privé et ville-hôpital. La révision de la carte hospitalière est une opportunité pour les mettre en place.
Baser le financement des hôpitaux sur l’activité pour les actes standardisés, mais aussi sur les démarches de qualité, sur le résultat final des actions de soins et sur l’évaluation de la pertinence de celles-ci. Le financement pour la prévention, l’enseignement et la recherche doit être clairement et réellement différencié de celui des soins.
Simplifier et clarifier l’architecture institutionnelle de l’organisation sanitaire régionale.
Messieurs les parlementaires, vous allez bientôt avoir à vous prononcer sur un projet de loi visant à sauver l’hôpital public. Offrez nous enfin un grand débat démocratique sur l’avenir de notre système de santé et de nos hôpitaux publics. La santé est l’affaire de tous vos électeurs. Deux questions se posent en lien avec le projet de loi : A quoi sert l’hôpital public ? Faut-il le conserver ? Il sert à au moins à 3 choses : assurer un accés aux soins pour tous ; contribuer au progrès médical et assurer l’enseignement des futurs praticiens. C’est donc un vrai choix politique qui influencera radicalement la qualité de vie des futures générations.
Et, comme disait Abraham Lincoln, «Si vous trouvez que l’éducation coûte cher, essayez l’ignorance».
Frédéric BIZARD
Professeur Emile PAPIERNIK
Ancien Chef de service de Gynécologie-Obstétrique à l’Hôpital Cochin Port-Royal-APHP
Professeur Emérite Université Paris 5 Descartes