Décris-moi ta politique vaccinale, je te dirai quel est ton régime politique ? Le vaccin est devenu un instrument politique dont l’usage diffère nettement selon les régimes et les types de gouvernance.
Les dictatures chinoises et russes ont rapidement fait de leur vaccin un instrument de propagande politique à l’international pour démontrer l’efficacité de leur régime et se mouvoir en bienfaiteur de l’humanité. Elles sont dans leur logique politique.
Les démocraties ont une gestion du vaccin soit neutre soit active politiquement, mais plutôt à des fins de politique interne. Trump a appliqué le quoi qu’il en coûte pour faire démarrer la campagne de vaccination avant l’élection présidentielle de novembre 2020, sans grand succès. Le Président français a annoncé le 12 juillet 2021 un durcissement net de la politique vaccinale, dans un style très Jupitérien. La majorité des Français ont apprécié, l’Etat régalien a réaffirmé son autorité, l’initiative présidentielle d’inspiration machiavélique (le fait du Prince) aurait donc bien fonctionné.
Cette instrumentalisation du vaccin à des fins politiques peut être politiquement et sanitairement efficace à court terme, mais elle est probablement délétère à moyen terme.
Etatisation et politisation du vaccin en France
D’abord, l’utilisation politique du vaccin et de la pandémie en général n’est pas l’apanage de toutes les démocraties. L’Allemagne, les pays scandinaves, la Nouvelle Zélande, entre autres, ont globalement eu une gestion apolitique de la crise et de la campagne de vaccination. A partir de données et recommandations scientifiques, des décisions sont prises de façon plutôt consensuelle, sans exploitation politicienne marquée d’un camp ou d’un autre. L’analyse des performances à ce stade montre que les résultats sont meilleurs avec cette approche.
L’acte d’autorité du Président Macron a pris par surprise la classe politique et l’opinion publique française, preuve qu’il ne résultait pas d’une concertation mais du fait du prince…L’effet recherché a fonctionné à la fois sur le plan politique et sur l’effet accélérateur de prises de rendez-vous pour la vaccination. Il faudra vérifier son efficacité à moyen terme, mais cet épisode en dit long sur l’état de notre santé publique et sur le fonctionnement de notre démocratie.
La santé publique s’appuie fondamentalement sur l’engagement individuel et collectif vers un but de protection et d’amélioration de son état de santé et celui de la population. Notre système de soins est toujours axé sur la prise en charge des maladies, intervenant marginalement sur les personnes bien portantes. Ni l’approche collective ni l’approche préventive n’ont été intégrée dans le modèle. Nous sommes dans une santé publique à 90% répressive et 10% incitative, ce qui est une source d’échec garantie pour changer les comportements individuels.
Le fait du Prince du 12 juillet met à mal toute tentative de développer la responsabilité individuelle en santé, pilier d’une démocratie sanitaire quasi inexistante dans notre système de santé et dans notre gestion de la crise. Après l’étatisation du système de santé depuis 20 ans, on assiste, avec une certaine cohérence mais avec la même inefficacité, à l’étatisation de la gestion de la crise sanitaire. C’est l’Etat central qui décide de tout, avec une verticalité des plus raides.
Même si notre point n’est pas ici de critiquer le fond des mesures annoncées sur le plan sanitaire mais d’analyser les conséquences d’une telle gouvernance, on peut s’interroger sur la proportionnalité des mesures décidées face au risque réel. Près de 80% des plus de 65 ans sont vaccinés en France, ce groupe de population ayant représenté plus de 90% des décès à ce jour. Le risque létal de la Covid est, pour le moment maitrisé en France. Pas vraiment de quoi utiliser la foudre de Jupiter !
Les Anglais s’appuient très largement sur la responsabilité individuelle. Ils sont dans leur culture. Au Royaume-Uni, le nombre de cas journaliers dépasse les 35 000 et les décès quotidiens sont inférieurs à 50. Au pic de l’épidémie, le nombre de cas était deux fois supérieur et le nombre de décès trente fois supérieur. Le vaccin protège donc efficacement à ce stade. Les personnes fragiles ont eu le temps de se faire vacciner, les vaccins sont disponibles, à chacun de prendre ses responsabilités maintenant. L‘Etat anglais libère la société là ou l’Etat français la contraint davantage, alors que notre situation est moins dégradée.
La France est dans un engrenage dans lequel un souverain jouit de son pouvoir et un peuple attend trop de lui. Cette situation est la source de nombre de maux de notre société : la défiance généralisée, le manque de cohésion sociale et la faible confiance des Français dans l’avenir. Des mesures telles que l’obligation vaccinale ou l’application abrupte du pass sanitaire sont de nature à accroitre la défiance et la fracture sociale à moyen terme. Ces deux instruments sont essentiels pour mettre fin à la pandémie, rendons-les le plus populaire possible !
Une vision nationale de la vaccination pour un problème mondial
Un autre écueil de la politisation des vaccins est une vision nationale des Etats pour élaborer leur stratégie vaccinale. L’égoïsme souvent dénoncé à l’échelle individuelle est une réalité à la puissance 10 à l’échelle des Etats. Alors que plus de 50% de la population des pays européens et des USA sont vaccinés contre moins de 1% pour celle des pays pauvres, l’obsession des pays riches est de vacciner les moins de 18 ans et de préparer les stocks pour une troisième dose. Peut-on reprocher aux dirigeants de ces pays démocratiques de tout faire pour protéger leur population et attirer leur suffrage pour les prochaines sélections ? On est là dans les limites des démocraties, identifiées par Tocqueville, qui se révèlent en l’état difficilement compatible avec la lutte mondiale contre une pandémie.
Que ce soit pour la lutte contre les crises sanitaires ou écologiques, la solution à cette faille démocratique est l’universalisation de la gestion des crises. La France est aux abonnés absents alors que c’est l’esprit des Lumières qu’il faut faire vivre. Sans vaccin, nous ne pesons pas dans le débat international. L’idée que tous les hommes sont égaux, indépendamment des frontières et des cultures, est loin d’une abstraction rhétorique. Selon notre culture française, le monde est une civitax maxima, une citoyenneté universelle, un idéal kantien partagé par Montesquieu, Voltaire ou Condorcet qui se vantaient d’être des citoyens du monde.
La grande politique serait de mettre en place une initiative forte, sous l’impulsion de la France et de l’Europe, pour instaurer une gouvernance mondiale de la gestion vaccinale qui conduise à mieux répartir les matières premières, les capacités de production et la distribution de vaccins à travers le monde. A ne pas le faire, l’Occident s’expose à la révolte des pays laissés pour compte de la pandémie et à l’apparition de nouveaux variants qui risquent d’échapper à la protection vaccinale.
Notre mode de gouvernance de la crise sanitaire, éloignée de notre culture et de nos valeurs fondamentales, risque à terme de fracturer davantage notre tissu social et notre capacité à faire Nation. Privilégier à outrance la sécurité en sacrifiant avec une certaine légèreté les libertés individuelles, être dans une position de faiblesse pour prôner l’universalisme pour penser la crise pourraient être les stigmates de cette crise les plus difficiles à éliminer. Il n’y a certes pas de solution simple à la situation actuelle, mais priorisons au moins celles en phase avec notre culture, sachant que « la culture ne s’hérite pas, elle se conquiert » selon Malraux.