Les syndicats ont majoritairement approuvé un accord conventionnel qui revient peu ou prou à ajuster les valeurs des actes selon l’inflation depuis 2017.
C’est le cas de la consultation des généralistes qui passe de 25€ en 2017 (26,5€) à 30€ fin 2024… et reste à 30€ jusqu’en 2028 (rappelons que l’inflation a été de 20% de 2017 à 2024, ce qui rend facile la vérification).
Cet ajustement s’applique à d’autres spécialités, comme les pédiatres et les psychiatres, souvent à un pourcentage moindre.
Rappelons que la valorisation des actes médicaux (et paramédicaux) en France est décorrélée de la valeur intellectuelle et professionnelle des actes, ce qui incite les professionnels libéraux à pratiquer une médecine stakhanoviste pour conserver leur niveau de vie.
Cette situation est voulue par les Pouvoirs Publics qui recherchent à faire des économies pout l’assurance publique sur la rémunération des professionnels de santé, pour des raisons comptables mais aussi pour les pousser à des gains de productivité (vous connaissez le « travailler plus pour gagner plus »).
Cette course au volume est contraire à une médecine de qualité puisque le temps passé avec le patient est une des variables de cette qualité.
C’est une médecine dont les jeunes générations ne veulent plus, ce qui aurait dû interpeler les parties prenantes. Non, mieux vaut foncer tête baissée !
Faire des économies sur les rémunérations a aussi été le sport favori des pouvoirs publics à l’hôpital public, jusqu’à ce que la corde casse et le Ségur de 2020 déverse ses 12 milliards de rémunérations annuelles supplémentaires. Ce sport va continuer pour l’exercice libéral jusqu’en 2028 au moins.
A titre anecdotique, l’accord porte sur les années 2024 à 2028, mais s’applique en décembre 2024, ce qui lèse de 11 mois les médecins. La gestion gagne-petit de ce type de négociation, spécialité de la Cnam ces dernières années est une mesquinerie qui se paie par de la défiance.
L’institution est tombée depuis quelques années dans un esprit de boutiquier, bien éloignée des grandeurs de la santé publique. Il parait qu’il faut s’y faire.
Les faits sont toujours têtus
Pour le médecin généraliste, la valeur de l’acte n’est pas revalorisée en euros constants après 2024, et va perdre de l’ordre de 10% de sa valeur à l’horizon 2028.
Cette paupérisation à 5 ans proscrit tout moyen supplémentaire disponible pour embaucher des ressources humaines paramédicales pour la prévention et la coordination des parcours, entre autres.
Pas de mention d’une transformation des cabinets de ville par suite de la révolution technologique en cours (numérique, IA…), ce qui évite de parler de l’investissement nécessaire pour que médecins et patients en bénéficient.
Aucun plan de santé publique ne soutient cet accord, qui ne porte que sur des valeurs de tarifs d’acte de l’offre, le patient et ses besoins n’existent pas.
On sent même une défiance face à ces innovations, comme la télémédecine (dont le tarif n’est pas augmenté …). Ce n’est pas en tuant le modèle économique de la télémédecine qu’on en limitera les dérives, surtout chez l’offre financiarisée, bien au contraire.
Pour les spécialistes, cet accord n’est guère plus brillant à deux exceptions près :
- Il ne s’étend en théorie que sur un an et non 5 ans, du fait de la renégociation des tarifs avec la nouvelle CCAM en septembre 2025.
- Plus d’un spécialiste sur deux dispose des compléments d’honoraires pour compenser le sous-investissement de l’assureur public.
Cet accord est dans la continuité de la tendance de la dernière décennie d’un virage hospitalier et non d’un virage ambulatoire vers la ville.
Sur la dernière décennie (hors Covid), les dépenses des médecins de ville ont augmenté de 2 ,3% par an contre 2,8% pour l’ensemble des soins et biens médicaux, représentant 11% de la CSBM ‘conso de soins et biens médicaux) aujourd’hui contre 11,5% une décennie plus tôt.
Les dépenses hospitalières (115Mrds€ en 2022) ont augmenté de 3,5%/an et représentent 49% des dépenses de soins et bien médicaux aujourd’hui contre 48,5%, 10 ans plus tôt.
On ne va pas aborder le virage préventif, pour ne pas se faire plus mal au moral.
On dit souvent que la refondation du système est très compliquée, ce qui n’est pas le cas mais au moins l’urgence des virages ambulatoires et préventifs (qui sont en partie liés) est simple à comprendre, non ?
Ce ne sera pas pour les 5 ans à venir, si rien de nouveau arrive.
La blague de la sollicitation de la base (a posteriori de la négociation)
Quelques syndicats ont demandé l’avis de leurs adhérents avant de se prononcer définitivement, ce qui semble a priori logique.
Le problème c’est que la proposition faite à la base est un marché de dupes.
Le deal est le suivant : « soit on prend le contenu existant dans l’accord maintenant, soit on part dans deux ans de règlement arbitral où on aura au mieux ce contenu, probablement moins ».
Je serais intéressé par connaître le nombre de répondants à un tel deal. Cette logique s’applique en fait aussi aux dirigeants de la plupart des syndicats. On signe pour sauver les meubles (et financer son syndicat puisque la signature en dépend).
On peut comprendre cette démarche mais encore faut-il être convaincu, en même temps que signer, que ce système ne doit pas durer.
Solliciter les adhérents est une tellement bonne idée qu’il vaudrait mieux le faire avant de commencer à négocier, pour disposer d’un programme de négociation réfléchi et consensuel. Le chemin parcouru pendant la négociation syndicats-Cnam serait possible à évaluer in fine.
C’est le seul moyen pour sortir du chantage infernal tous les 5 ans qui use les esprits et se résume en fin de négociation au choix binaire : à prendre ou à laisser. On finit par prendre même si c’est loin du compte.
Solliciter une réflexion basée sur l’intelligence collective aurait certainement fait émerger des idées sur plusieurs enjeux majeurs, dont les suivants.
Comment prendre en compte le temps dans la valorisation d’une consultation, quel que soit le patient ?
Comment indexer la valeur des actes sur l’inflation pour parer toute érosion de la valeur monétaire des actes ?
Comment financer la montée en puissance au cours des 5 prochaines années dans le recrutement des paramédicaux et l’équipement technologique dans les cabinets médicaux français, pour pouvoir déléguer des tâches, faire de la prévention, coordonner les parcours…
Comment s’assurer que chaque cabinet médical sera prêt dans les 5 ans pour gérer 90% des parcours avec le numérique, en évaluant ces parcours avec des logiciels IA appliqués sur les résultats du parcours ?
Le système de santé allemand a plusieurs failles mais ils ont fait une partie des réformes en soins de ville. Les Allemands valorisent la consultation de leurs médecins libéraux en partie au temps passé (en plus d’autres sources).
Un médecin généraliste allemand gagne 50% de plus qu’un MG français (4,5 fois le salaire moyen vs 3 fois), travaille 10% de moins (49h vs 54h), et emploie 5 ETP contre 0,5 pour un MG français.
L’idéal serait même de disposer d’une plateforme inter-syndicale commune sur le contenu des mesures à négocier et les objectifs à atteindre.
Ne rêvons pas mais le contexte de crise actuel l’exige pourtant.
Surtout ce n’est pas la CNAM qui va mettre sur la table des idées disruptives favorables aux médecins, c’est donc à eux de le faire et à la CNAM de les négocier avec les médecins.
Il faut inverser le paradigme pour sortir de ce cercle vicieux où médecins et patients sortent toujours perdants.
La Cnam devrait négocier les propositions apportées par les syndicats et non l’inverse.
Les Français récoltent déjà ce qui est semé
Cet accord pousse un peu plus loin un système que chacun constate à bout de course, qui génère déjà désertification, burn-out, creusement des inégalités sociales et territoriales.
Ceux qui défendent l’accord diront qu’il permet au système actuel de perdurer (j’espère qu’ils n’oseront pas dire plus). Les soignants et les soignés savent donc à quoi s’attendre, puisqu’ils vivent au quotidien ce contexte.
Le risque de cet accord est d’accélérer l’effritement du modèle français.
Globalement, cet accord est comptablement nettement à l’avantage de l’assurance maladie qui va réaliser des économies substantielles sur la médecine de ville. Je rappelle que les recettes de l’assureur public augmentent en moyenne de plus d’un point au-dessus de l’inflation.
Cet accord fait le choix de ne pas allouer les ressources publiques équitablement vers la ville, et même de reporter le virage ambulatoire au-delà de 2028.
Est-ce bien sérieux dans un contexte de vieillissement accéléré et de forte hausse de la prévalence des maladies chroniques ?
Si l’assureur public n’assume plus son rôle de financeur principal sur l’évolution structurelle du modèle (forte hausse des besoins en ville), qui va prendre le relais ?
Certains médecins libéraux de secteur 1 (sans liberté tarifaire), 95% des médecins généralistes, vont être contraints/tentés de se déconventionner.
Certains médecins de secteur 2 (avec liberté d’honoraires), dont la part est passée de 42% à 53% des spécialistes de 2012 à 2022, vont être contraints/tentés d’augmenter les compléments d’honoraires.
C’est donc bien le financement privé qui va devoir prendre le relais du sous-financement public.
Les mutuelles ne rembourseront pas mieux les compléments d’honoraires, se réfugiant derrière la doctrine des contrats dits responsables de 2004 (une perle de rente pour elles). En revanche elles invoqueront ce contexte pour augmenter les primes des contrats.
Avec 10% de hausse des primes en 2024, on ne peut pas dire que cet accord n’ait pas été déjà incorporé dans les primes de cette année, mais cela n’empêchera pas le système de réclamer des hausses de primes supérieures à la hausse des dépenses de soins, tout en remboursant moins.
Donc le bon citoyen va se prendre de plein fouet la hausse du reste à charge de la médecine de ville, qui risque d’être inédite de 2025 à 2028. La médecine libérale spécialiste de ville sera moins abordable pour la classe moyenne en 2028 qu’aujourd’hui.
Il va aussi subir la hausse des primes des mutuelles et continuer à sagement cotiser pour financer l’assurance maladie.
Il ne devra pas se plaindre s’il trouve un médecin disponible dans un délai raisonnable dans son territoire. Un tel accord mènera probablement le niveau des déserts médicaux à un niveau aussi inédit.
Que pensez-vous que va pensez le citoyen-patient de tout ça dans les 3 ans à venir ?
L’impact politique parait aussi inévitable, sachant qu’une élection en 2027 se profile. Sur ce plan-là aussi, nous récolterons ce qui a été semé en 2024.
Cet accord concerne 2/3 de la totalité des médecins généralistes (66 000 sur 99 000), plus de 80% de la médecine générale de ville, et 48% des spécialistes (62000 sur 128000), là aussi l’essentiel de l’offre de ville. L’impact touchera toute la société.
La petitesse de cet accord va lourdement impacter l’accès aux soins de ville dans les 5 ans.
A qui la faute ?
Il est tenant de pointer du doigt les hauts-fonctionnaires de la Cnam et du ministère de la Santé.
En dehors de slides comprenant un état des lieux comptable de la situation, une tactique bien rodée pour reporter le plus tard possible l’application de hausse de tarifs, et un enfumage sur les gains finaux de l’accord, il n’y a aucun plan stratégique à 5 ans qui permettrait de réfléchir sérieusement à l’avenir de la médecine de ville.
Si la Cnam ne le fait pas, c’est aussi parce que l’État n’a aucun plan de santé publique à décliner dans une telle négociation. L’État a mis la Cnam sous sa tutelle depuis 25 ans, sans feuille de route de moyen terme.
L’absence de pilotage politique d’un tel paquebot est la mère des causes de toutes les dérives.
Cette gouvernance étatique et centralisée sans pilote exprime toute sa nuisance dans une telle négociation.
Quel politique aura le courage d’y remédier ?
C’est aujourd’hui le premier critère de sélection d’un-e bon-ne ministre de la Santé de demain.
On a discuté supra du rôle des syndicats, qui sont aussi une cible facile pour les professionnels de terrain. N’oublions pas que sans l’engagement (souvent bénévole) de ceux et celles qui pilotent ces syndicats, il n’y aurait pas de vie conventionnelle.
On pourrait aussi parler de toutes les parties prenantes, dont les économistes, les experts divers et variés, qui n’ont probablement pas effectué leur travail, souvent par soumission au système, sinon nous n’en serions pas là.
La responsabilité est bien collective, mais la prise de conscience du besoin de changement doit tout autant l’être. On en est loin.
Il faut distinguer ceux qui se satisfont d’une telle situation et défendent le statut quo, de ceux qui veulent transformer en profondeur le système pour le relancer dans le monde actuel et futur. Tant que les premiers seront majoritaires, rien ne bougera.
Cet accord conventionnel est le symbole d’un immobilisme mortifère de notre système de santé. Rien que pour cela, il est blâmable !
Emission de Clavi 3D sur BFMTV du 4/6/2024 sur l’accord Conventionnel