Depuis son entrée en fonction, la Ministre de la Santé a fait de l’amélioration de l’accès aux soins une priorité du quinquennat, reprenant un engagement de la campagne présidentielle. Le revers de la Ministre sur le tiers payant généralisé, en partie retoqué par le Conseil constitutionnel, est hautement symbolique politiquement mais ne représente qu’une partie des enjeux.
La généralisation de la complémentaire santé devait être une pierre essentielle de sa politique d’accès aux soins. A cette décision s’ajoutent l’encadrement du remboursement des contrats responsables, la fiscalisation du cofinancement par l’employeur des contrats collectifs et la loi Le Roux sur les réseaux de soins conventionnés. Le résultat final de ce bloc de mesures risque fort d’être éloigné de l’objectif initial pour au moins trois raisons.
Baisse de la qualité de la couverture et renchérissement des contrats en assurance santé
D’abord, la généralisation (forcée) des contrats collectifs à tous les salariés conduit en réalité à une baisse sensible de la qualité de la couverture complémentaire des dépenses de santé des salariés. Dans les faits, cette extension à tous les salariés se traduit dès début 2016 par un transfert pour 3,6 millions de salariés d’une couverture individuelle vers une couverture collective et par la souscription à un contrat pour 400 000 salariés non couverts. Les salariés qui n’avaient pas de contrats collectifs appartenaient majoritairement à des entreprises de moins de 10 salariés qui ne proposaient pas de contrat pour des raisons principalement économiques. La loi de 2013 impose des garanties minimum comme le ticket modérateur pour les soins médicaux et un forfait en optique et dentaire, laissant plus de 50% de la valeur des prestations dans ces secteurs à la charge de l’assuré. Ces contrats « socles », qui vont être dominants pour les salariés de PME, ont une très faible valeur d’assurance quant au potentiel de remboursement offert. D’un coût global de l’ordre de 250 euros par an, ils couvriront un risque allant de zéro (10% des Français n’ont pas de dépenses de soins chaque année) à 200 euros par an pour un actif ayant une consommation standard de soins. On rend donc obligatoire la souscription d’une assurance qui peut potentiellement protéger les salariés pour moins de 20 euros par mois.
Les salariés détenteurs d’un contrat individuel avant la réforme vont pour la plupart se retrouver avec un contrat collectif inadapté à leurs besoins. Ce ne sont pas les seuls. La réforme des contrats responsables de 2014 (plafonnement de certains remboursements) a un effet fortement incitatif pour réviser à la baisse les garanties des anciens contrats collectifs, afin d’éviter un redressement fiscal et d’Urssaf. C’est donc bien l’ensemble des salariés qui seront perdants à terme sur la qualité de leur couverture collective.
Ensuite, ces mesures génèrent un renchérissement du coût de l’assurance santé complémentaire pour l’ensemble des assurés à court et à long terme. L’inefficacité de ces contrats socle va devoir être compensée par la souscription de contrats complémentaires individuels, dits « surcomplémentaires », qui vont se payer au prix fort. Les organismes complémentaires n’ont pas manqué d’ingéniosité pour proposer des packs singeant une offre cohérente, mais pourtant bien distincte de deux contrats de nature différente. Ces surcomplémentaires ne sont nécessaires que pour une minorité d’actifs, mais comme 97% des salariés étaient déjà couverts par une complémentaire santé avant la réforme, les actifs ont le sentiment erroné qu’une complémentaire santé est indispensable (50% des Français, dont la plupart sont actifs, ont un reste à charge après assurance maladie inférieur à 250 euros par an). Si les contrats « socles » sont financés à au moins 50% par l’employeur, les surcomplémentaires sont entièrement à la charge des assurés.
Individualisation du risque et affaiblissement des droits des assurés
On va assister à terme à un mouvement de balancier inversé du collectif vers l’individuel. Sous la pression des organismes complémentaires, pour lesquels les contrats individuels sont beaucoup plus rentables, et étonnamment celle de l’Etat (nouveaux contrats responsables), la majorité des employeurs vont être incités à baisser les garanties des contrats collectifs pour favoriser la souscription des surcomplémentaires. On s’apercevra vite que ces dernières sont un leurre pour riches tant leur rapport coûts sur prestations et le taux d’effort seront trop élevés pour les salariés les plus modestes. Ce renchérissement du coût de la couverture santé va aussi concerné en 2016 les non salariés puisque le transfert de 3,6 millions d’assurés actifs vers le collectif entreprise a vidé le pool des contrats individuels d’autant de personnes à risque faible à modéré. Les artifices en préparation par le gouvernement pour compenser cela ne feront qu’aggraver la situation générale (hausse du coût des contrats collectifs).
Enfin, on assiste à un affaiblissement de la liberté de contractualisation des assurés en assurance santé, dans un secteur déjà champion de l’opacité commerciale et sans régulation sérieuse. L’Etat aggrave la situation de jungle du secteur. Les mesures gouvernementales précitées n’ont fait que complexifier un système déjà illisible et affaiblir les droits des citoyens dans leur couverture santé. L’argument historique pour imposer la souscription d’un salarié à un contrat collectif était le caractère bénéfique de ces contrats sur le plan du rapport coût sur prestations. Cet argument disparaît avec le nouveau dispositif ce qui remet en question la légitimité du caractère obligatoire. D’autant plus que la fiscalisation de la part employeur se traduit par une pression fiscale supplémentaire de près d’un milliard d’euros par an. A ceci s’ajoutent les réseaux de soins conventionnés liés aux contrats et imposés aux assurés. Ils instaurent, entre autres méfaits, une pénalité financière à l’exercice d’un droit fondamental dans notre système de santé, la liberté de choix de son professionnel de santé.
Ainsi, ce bric-à-brac de mesures va conduire à une dégradation de la couverture santé, donc à une hausse du renoncement aux soins, mais aussi à une baisse du pouvoir d’achat et à un recul des droits des citoyens en santé. Les résultats de cette politique de gribouille, guidée par les seuls intérêts court-termistes de lobbies, seront exactement inverses des objectifs annoncés en matière d’accès aux soins et de justice sociale.
Leur seul mérite est de rendre encore plus urgente la réforme structurelle de notre système de santé en général et du financement des dépenses en particulier. La ministre s’est probablement inspirée pour sa politique de son père sociologue, Alain Touraine, qui a écrit : « le changement du monde n’est pas seulement création, progrès, il est d’abord et toujours décomposition, crise ». On peut lui reconnaître d’avoir réussi à créer les conditions du changement !
Frédéric Bizard
Lire « Complémentaires santé: le scandale », Editions Dunod, Janvier 2016