Sécurité sociale : mort ou renaissance ?

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Tribune publiée dans Les Échos le 2/12/2024

 

Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025, en cours d’examen au Parlement, illustre l’impuissance politique à rétablir une trajectoire budgétaire financièrement soutenable.

La cour des comptes vient de publier le mois dernier un rapport sobrement intitulé « la situation financière de la sécurité sociale » (1) qui explique les raisons de la non-soutenabilité des déficits prévisionnels. Il en résulte, en l’état, une situation de cessation de paiement de la sécurité sociale dès 2026.

Face au vieillissement accéléré de la population, avec un doublement prévu des plus de 75 ans d’ici à 2040, il s’agit bien d’une menace existentielle pour cette institution créée en 1945.

La réalité non assumée par le gouvernement est qu’il existe deux options pour notre modèle social : son délitement rapide ou sa refondation.

 

La cessation de paiement annoncée de la sécu

La caisse d’amortissement de la dette sociale (CADES) ne peut plus légalement absorber les déficits sociaux à partir de 2024. Sa durée de vie est prévue jusqu’au remboursement complet des 145 Mrds € de la dette sociale existante, prévu en 2033.

Le déficit social de 18 Mrds€ de 2024 sera absorbée par la caisse de la sécurité sociale (l’Acoss), dont le plafond d’autorisation de découvert a été relevé en conséquence. En l’état, les déficits sociaux annuels récurrents compris entre 16 et 20 Mrds€ d’ici à 2028 ne pourront pas être financés.

Juridiquement, il suffirait de voter au Parlement une loi organique pour prolonger la vie de la CADES de 10 à 20 ans. Au moins deux obstacles se dressent sur ce chemin.

D’abord, l’argument moral de faire payer par les générations suivantes nos dépenses sociales courantes, sans parler du mode dégradé de la qualité de la protection sociale que nous laisserions.

C’est inconcevable sur le plan de l’équité intergénérationnelle.

Ensuite, l’argument de la crédibilité de la politique de maitrise de nos budgets sociaux dans les années à venir.

Alors que le budget 2025 révèle l’absence de vision d’avenir pour notre protection sociale, qui se traduit par une série de mesures court-termistes, les conditions de confiance pour convaincre les créanciers de continuer à financer la dette sociale ne sont pas réunies.

Notre sécurité sociale, financeur solidaire de 72% de l’ensemble de nos dépenses sociales, fait donc bien face à un risque existentiel inédit depuis sa création.

 

Un budget caduc dès sa conception

Ce budget social 2025 réussit l’exploit de rendre impossible, avant son exécution, l’atteinte des objectifs financiers annoncés aussi bien dans les prévisions de recettes que de dépenses.

Le budget est assis sur une prévision de hausse du PIB de 1,1% en 2025, là où le consensus entre les institutions économiques est autour de 0,7%. La différence est hautement significative pour un financement social qui s’appuie largement sur l’activité économique.

Côté dépenses, les économies générées ne sont pas fondées sur des gains de productivité ou d’efficience mais sur des gains comptables de court terme qui détériorent les systèmes et conduisent in fine à plus de dépenses. La plus emblématique est le déremboursement de 5% de la consultation médicale et du médicament.

Elle conduit à un triple préjudice économique, social et sanitaire, et sera contre-productive pour la sécu. Chaque retraité va voir sa prime de complémentaire santé augmenter de près de 250 € en 2025, après près de 200 € en 2024. Cela va amputer son pouvoir d’achat et dégrader la qualité de la couverture de son risque santé.

Le caractère régressif du financement de la complémentaire santé et la dichotomie entre contrats individuels (inactifs) et collectifs (actifs) génèrent de fortes inégalités sociales que cette mesure aggrave.

Enfin, cela éloigne les assurés à haut risque de l’offre de soins primaires, en augmentant les renoncements aux soins pour raisons financières.

Cette mesure ne peut qu’impacter négativement l’état de santé de cette population, qui devra, à moyen terme, consommer des soins  plus coûteux et remboursés à 100% par la sécu (en tant que patient chronique).

 

La refondation, seule issue positive

Rien d’étonnant à ce que les opposants historiques à la sécu, dont les ultra-libéraux et certains lobbies financiers, fassent tout pour que ce financement public universel et solidaire majoritaire disparaisse au profit d’un financement privé, individualisé, et ajusté au risque.

La menace qui pèse sur la sécu ne peut être levée que par une réforme systémique de notre système de santé et d’assurance maladie, incluant la dépendance, qui porte l’essentiel des déficits et risques.

La bonne nouvelle est que ce programme de refondation est prêt (Institut Santé, 2).

Il se compose de 5 axes majeurs : la réforme de l’État et des dispositifs de pilotage de la santé pour asseoir le système sur des critères de santé publique, la structuration d’un pôle opérationnel de prévention ambitieux et efficace, l’instauration d’un service public territorial de santé, l’évolution du financement vers un seul financeur solidaire par prestation, et la diffusion massive des innovations technologiques et thérapeutiques.

La société d’individus dans laquelle nous vivons peut-elle encore faire société demain ?

La sécurité sociale a largement contribué à faire société au XXème siècle.

Sa renaissance au XXIème siècle devrait y contribuer, à un moment où renforcer les liens sociaux entre les citoyens de notre pays est primordial pour son avenir.

Selon Jean Monnet, « les hommes n’acceptent le changement que dans la nécessité et ils ne voient la nécessité que dans la crise ».

Le Politique devrait se convaincre que le peuple est prêt au changement.

 

Frédéric Bizard

 

  1. La situation financière de la sécurité sociale – Cour des comptes – 6/11/2024 – ici

2.  « Les itinérants de la santé. Quel futur pour notre système de santé ? » – Editions Michalon – Octobre 2024 – ici

 

 

Tribune publiée dans Les Échos le 2/12/2024

Frédéric Bizard

Frédéric Bizard, est un économiste spécialiste des questions de protection sociale et de santé. Il est professeur d'économie affilié à l'ESCP Europe et enseigne aussi à Paris Dauphine. Il est Président fondateur de l'Institut Santé.

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