Budget santé 2025 : la tyrannie de la facilité !

Tribune parue dans Le Monde le 11 octobre 2024

 

Le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) 2025, présenté jeudi 10 octobre, cible massivement le secteur de la santé, aussi bien sur la modération des dépenses que sur la hausse des recettes par les cotisations sociales

Parmi les mesures, le taux de remboursement public de la consultation médicale devrait passer de 70% à 60%, pour une économie de 1,1 Mrd €. Ce transfert vers les mutuelles a déjà eu lieu en dentaire en 2023, avec des conséquences très néfastes pour les assurés.

Outre cette mesure dangereuse et inefficace, aucune restructuration du système de santé n’étant annoncée, le reste des économies se fera en rabotant les prix des services et produits de santé, aggravant mécaniquement la crise du système de santé.

Si vous demandez à un enfant de 10 ans : « un système à deux étages finance les dépenses de santé, comment ferais-tu pour que le premier étage en finance moins, sachant que le deuxième étage n’aspire qu’à s’étendre ? ». Il propose la même chose que le gouvernement : passe le grisbi au deuxième étage. Or cette privatisation du financement est un pas vers la destruction du modèle universel solidaire. Il ne semble pas que cette évolution s’inscrive dans un processus démocratique.

 

 Un transfert facile mais très coûteux pour la classe moyenne

En octobre 2023, une telle mesure a déjà été prise sur la plupart des soins dentaires, dont le remboursement public est passé de 70% à 60%. C’est ainsi que les cotisations des complémentaires santé ont augmenté de 10% en 2024 (1), soit une hausse globale de 4 Mrds € (au lieu de 1 à 1,5 Mrd€ par an les années précédentes), pour des économies estimées à 500M€ pour l’assurance maladie en année pleine.

Cette disproportion est le signe d’un dysfonctionnement profond de ce marché dont l’opacité de l’information fausse la concurrence et rend l’usager captif et vache à lait des opérateurs. Si ce déremboursement est une économie pour l’assurance maladie à court terme, c’est un transfert vers le financement privé des mutuelles (et autres assureurs), très coûteux pour le citoyen.

Les principales victimes de cette hausse disproportionnée sont les retraités de la classe moyenne, qui financent 100% des contrats dont les coûts sont trois fois supérieures à ceux des actifs, ces derniers ne supportant que 50% de la charge (le reste étant financé par l’employeur), une autre aberration du système.

Avant la connaissance de cette mesure, la hausse prévue des cotisations était de l’ordre de 8% pour 2025, soit 150€ par retraité et 3,5 Mrds€ au global. Si ce transfert est voté, la hausse sera bien au-delà de 10%, approchant les 250€ par retraité et 5 Mrds€ au global. Cette dépense contrainte s’ajoutera à la désindexation sur 6 mois des pensions en 2025.

Le coût d’un contrat santé représente plus d’un mois de pension pour cette classe moyenne retraitée, sans garantie d’accès aux soins de spécialistes, ces derniers étant mal remboursés par la majorité des contrats souscrits par cette cible.

En réalité, ce transfert d’un milliard d’euros de dépenses du public vers le privé va à l’encontre d’une recherche d’économies au global, d’autant plus qu’il génère mécaniquement des centaines de millions de frais de gestion à la charge des assurés. En éloignant des millions de Français de la classe moyenne des soins courants, cette mesure dégradera au global la santé de la population, alourdissant les dépenses. Le système américain illustre parfaitement cette réalité.

Dans un marché avec une concurrence très imparfaite et peu régulée, la part des frais de gestion n’a pas reculé depuis dix ans (>20% des cotisations), pour un montant en 2023 supérieur à 8Mrds€ (2).Ainsi, pour un montant de 10 euros remboursés par sa complémentaire, l’assuré paie 3 € de frais de gestion contre 30 centimes quand l’assurance maladie. Sachant que le retraité ayant une retraite de 1500€ paie le même prix que celui gagnant plus de 5000€ (financement régressif), contrairement à l’assurance maladie (système progressif et redistributif).

Avant la connaissance de cette mesure, la hausse prévue des cotisations était de l’ordre de 8% pour 2025, soit 150€ par retraité et 3,5 Mrds€ au global. Si ce transfert est voté, la hausse sera bien au-delà de 10%, approchant les 250€ par retraité et 5 Mrds€ au global. Cette dépense contrainte s’ajoutera à la désindexation sur 6 mois des pensions en 2025.

 

Un levier pour la financiarisation de l’offre de soins primaires

Les quelque 400 organismes d’assurance privé en santé n’ont aucune compétence et incitation pour la plupart d’optimiser la qualité des services délivré sur un plan sanitaire. L’objectif commun est de réduire le coût des sinistres en baissant le coût des soins. La prévention n’est utilisée qu’à des fins marketing et représente moins de 0,5% des dépenses (contre 2% pour l’assurance maladie, montant déjà trop faible).

La conséquence quasi inévitable de cette voie est donc la financiarisation de l’offre de soins primaires, i.e. la constitution de groupes financiers permettant de réduire le point mort économique de l’exercice médical le plus bas possible (low-cost). Cela passe par le salariat de professionnels les moins qualifiés, les plus corvéables et capables d’accepter la marchandisation de la consultation médicale. Les exemples se multiplient en France.

Les secteurs de l’audioprothèse, du dentaire, entre autres, sont financés à partir d’une base publique et pour une partie majoritaire par les assureurs privés. Nous croulons sous les exemples démontrant les escroqueries financières et sanitaires que la financiarisation de ces secteurs a généré, coûtant in fine cher à l’assureur public.

Est-ce qu’une mesure aussi néfaste pour la santé des citoyens peut être considérée à terme comme favorable aux comptes de la sécu ? Évidemment que non.

 

Pas de maitrise des dépenses sans réforme structurelle

 Les trois défis contemporains à relever – permettre un vieillissement en bonne santé de la population (seule la bonne santé réduit la demande de soins), optimiser le parcours de soins des patients chroniques, et diffuser massivement les innovations, sans lesquelles les gains d’efficiences sont marginaux – exigent de restructurer l’ensemble du système (gouvernance, organisation, financement) (3).

Préférer la facilité comptable du rabot à la réforme structurelle engendre mécaniquement à court terme un recul de l’accès aux soins (pénuries de personnel et de médicaments), nourrit la hausse des dépenses par la mauvaise santé et détruit le modèle universel solidaire. Et ceci, sans résultat probant sur le rétablissement de l’équilibre budgétaire de l’assurance maladie qui présentera un déficit abyssal de plus de 13 Mrd € en 2025 (soit 84% du déficit de la sécu).

Concernant les économies de court terme, M. Barnier pourrait regarder du côté de la réforme du système de financement et de la gouvernance de la santé en France.

Pour la première, le passage d’un financement à deux étages pour la même prestation (sécu + complémentaires) à un système à un étage où le financeur privé aurait la charge de prestations spécifiques et distinctes (centrées sur la prévention) de la sécu générerait des économies immédiates de plusieurs milliards d’euros, tout en améliorant la lisibilité et l’efficacité de la gestion du risque santé.

Quant à la gouvernance, le principe est de la professionnaliser et de la débureaucratiser, comme ce fut le cas au XXème siècle avant l’étatisation du système. Que ce soient les agences sanitaires nationales, régionales ou les grands hôpitaux publics, la direction dont être centrée sur des compétences professionnelles sanitaires, qui gérera non pas par la bureaucratie mais par des solutions opérationnelles. La technostructure doit redevenir l’intendance au service des professionnels et des usagers.

« Le pire n’est pas toujours sûr », selon Paul Claudel.

Il n’en demeure pas moins que tant que les leaders politiques montreront aussi peu de courage pour lancer une refondation du système dont on connaît l’essentiel du contenu, le pire des solutions est inévitable.

Ce budget 2025 en prend le chemin pour la santé.

 

 

Frédéric Bizard

Bibliographie

  

  1. Prévissima, 27/09/2024
  2. Rapport sur la situation financière des OCAM, Drees, 21/12/2023
  3. « Les itinérants de la santé. Quel futur pour notre système de santé ? ». Éditions Michalon – Octobre 2024ici

 

Tribune parue dans Le Monde le 11 octobre 2024

Frédéric Bizard

Frédéric Bizard, est un économiste spécialiste des questions de protection sociale et de santé. Il est professeur d'économie affilié à l'ESCP Europe et enseigne aussi à Paris Dauphine. Il est Président fondateur de l'Institut Santé.

2 Comments

  1. 20% des cotisation aux mutuelles partent en taxes. Ainsi 4 Milliards d’augmentation en 2024 reviennent à augmenter les recettes de l’état d’environ 800 millions.
    Rien d’étonnant donc que nos gouvernants qui cherchent de l’argent par tous les moyens fassent ce choix. Quant aux 23% de frais de fonctionnement des complémentaires, c’est de l’argent perdu pour les classes moyennes.
    En effet, le pire n’est pas toujours sûr…

  2. La facilité que vous dénoncez a cours depuis bien longtemps, depuis si longtemps qu’on se prend à penser qu’il s’agit plus de décisions délibérées que d’un abandon à une paresse coupable.
    Vous montrez que le glissement d’une partie des remboursements des consultations medicales va, via le transfert obligatoire vers complémentaire, peser sur les vieux et les pauvres. On finit par penser que c’est ce qui est finalement recherché.
    La financiarisation médicale et sociale paraît également être délibérée tant elle est constamment encouragée, parfois avec le rêve secret de pouvoir avoir prise sur ces groupes amis et, finalement, comparses qu’on imagine ainsi pouvoir contrôler.
    Mon questionnement porte plutôt sur les instigateurs, les promoteurs et les effecteurs de ces politiques opiniâtres.
    Je doute fortement qu’une telle continuité au travers d’innombrables alternances soit le fait du personnel politique plus ou moins issus de l’élection. Du reste aucun programme politique n’inclut de réflexion sur le système de santé, se cantonnant, en ces domaines, sur quelques voeux pieux, quelques déclarations solennelles ou quelques mesures quantitatives (plus de ceci ou de celà).
    Cette absence politique, si uniforme qu’on la sent presque délibérée renforce mon pessimisme sur la possibilité de sortir de l’ornière, qui est d’abord une ornière de pensée.
    Vous avancez toujours des arguments clairs, vérifiables et pertinents, en tous cas bases solides pour réfléchir et argumenter. Vous m’avez ouvert beaucoup de voies de réflexion, et je suis persuadé que beaucoup partagent ce sentiment, tant votre voix tranche sur l’obtusion intellectuelle qui est souvent présente.
    Je suis frappé de la platitude des reactions aux projets, quasi actés du reste, de la prochaine loi de financement de la Sécurité sociale.
    Faire passer à 40 % le financement complémentaire des consultations médicales c’est dire que ces dernières ne servent à rien, ou pas grand chose, quand elles doivent être le centre et le socle de tout le système universel de santé, c’est faire exploser la Sécurité sociale historique, ou ce qu’il en reste.
    Qui a décidé celà, certainement pas les ministres fraîchement arrivés.
    Tant qu’on évite de se poser la question de la réelle gouvernance du système de santé et sur les moyens de l’infléchir, ou de la modifier, on se heurte à un mur.
    Encore merci pour votre constance et votre courage.

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