Parmi les cinq pays permanents de l’ONU, la France, pays inventeur du vaccin, est le seul à ne pas avoir trouvé un vaccin contre la Covid 19. Notre allié et concurrent de l’Union Européenne, l’Allemagne, en aura développé deux avec la technologie gagnante de l’ARN messager avant la fin du premier semestre 2021.
Signe d’un déclin irréversible de la recherche médicale française pour les uns ou accident de parcours lié à tout processus de recherche pour les autres, cette déception est à analyser sans démagogie et doit conduire à l’action sans plus attendre. Le processus de l’innovation médicale est typique de la pensée complexe chère à Edgard Morin qui nécessite de distinguer les éléments qui le composent et de les relier pour en comprendre les interactions.
Dressons un diagnostic et un plan d’action pour relancer l’innovation médicale en France.
Trois failles et un gâchis
La première faille se situe dans la recherche fondamentale, donc à la genèse du processus d’innovation. Alors que la France dispose déjà d’un budget global public de la recherche plus faible que nos voisins européens (2% du PIB vs 3% en Allemagne), le pays a fait le choix étonnant de diminuer la part de ce budget dédié au secteur de la santé. De 2011 à 2018, les crédits ont baissé de 28% pour descendre à 2,5 Mrds $ alors qu’ils augmentaient de 11% en Allemagne à plus de 6 Mrds $ sur la même période (1).
La France s’est ainsi elle-même tirée une balle dans le pied, condamnant sa recherche au déclin. C’est une erreur stratégique dans une période de changement de paradigme technologique avec la transition qui s’opère depuis plus de 20 ans de la chimie à la biologie et à la génomique. Un médicament innovant sur deux est aujourd’hui issu des biotechnologues. C’est la recherche fondamentale qui engendre les premières découvertes à partir desquelles le processus d’innovation conduit à un médicament ou à un vaccin. Elle conditionne donc ce processus et ses chances de succès.
La deuxième faille est organisationnelle. La création de l’Agence Nationale de recherche en 2005 n’a pas créé l’élan attendu pour dynamiser l’innovation pas simplement par manque de moyens mais à cause d’un fonctionnement trop bureaucratique et une articulation mal pensée avec les institutions existantes (Inserm, Cnrs). La coopération insuffisante entre universités et entreprises aussi une faiblesse française. La France figurait en 2017 au 35ème rang mondial du classement de la banque mondiale pour cette collaboration (7ème pour l’Allemagne, 4ème pour les USA) qui est déterminante pour réussir la transformation de la recherche fondamentale en recherche appliquée, et donc celle des découvertes en produits commercialisables (2).
Cette faille organisationnelle plombe l’attractivité de la France vis-vis des meilleurs chercheurs. Si la France n’a pas réussi à faire revenir Emmanuelle Charpentier dans son pays, malgré de multiples tentatives, c’est pour des raisons financières mais aussi d’organisation bureaucratique de notre écosystème de la recherche. Les stars de la recherche mondiale ont besoin d’être attirées avec un package financier spécifique et d’organiser autour d’eux leurs équipes. La recherche est tirée par quelques cerveaux qu’il faut savoir attirer sans quoi l’innovation se fait ailleurs.
De plus, les compétences en biotechnologies et en génomique étant insuffisantes dans les big pharmas, la clé du succès de la recherche appliquée pharmaceutique se trouve aujourd’hui dans les sociétés de biotech, de petite taille et dont la capacité à se financer est un enjeu majeur. On touche à la troisième faille de notre écosystème. 72% des biotechs recherchaient des fonds en 2019 en France mais le marché du capital risque y est trop peu développé. Le secteur biopharmaceutique se caractérise en effet par un besoin en capital initial très élevé, pour une durée longue de développement (plus de 10 ans) et un risque d’échec élevé (>95%). Ainsi aux USA, 82% du capital des biotechs viennent des fonds nationaux contre 11% en France. Sans ces fonds, point de salut pour les biotechs (3) !
Ces failles sont un véritable gâchis tant la France a été pionnière en génomique et conserve des chercheurs de réputation mondiale dans ce secteur. De Jacques Monod, découvreur de l’ARN messager à Emmanuelle Charpentier, en passant par Jean Dausset, la France dispose des trois Prix Nobel qui ont charpenté la recherche génomique. Le talent de nos chercheurs, la ressource la plus rare et la plus longue en recherche, est un facteur essentiel d’espoir pour rebondir.
Une industrie plombée par un écosystème archaïque
L’industrie fait face depuis les années 2000 à une évolution radicale de modèle d’affaires. Le premier modèle (dit blockbuster) s’est développé depuis les années 80 par la production massive standardisée de médicaments innovants à base chimique protégés par des brevets mondiaux qui assuraient le financement de la recherche interne et des profits élevés. Le second (dit custombuster) se caractérise par l’usage de procédés biologiques et génétiques et la personnalisation de l’usage visant à cibler les patients les plus réactifs. Cette évolution s’est accompagnée d’une très forte hausse des coûts de R&D des médicaments. De 2003 à 2016, le coût moyen de développement d’un médicament a été multiplié par trois (de 800 M $ à 2 558 M$).
Or, depuis les années 2010, on constate un ralentissement de la progression des investissements en R&D en France. La part du chiffre d’affaires investie par les laboratoires dans la R&D en France passait de 12,5% en 2008 à 9,8% en 2017. Le leader français Sanofi est passé de la 4ème place en 2007 en investissement dans la R&D à la dixième place en 2020.
Outre la recherche, le décrochage de la France est aussi très marqué dans la production pharmaceutique. Après avoir été leader européen de 1995 à 2008, la France est aujourd’hui derrière l’Allemagne, l’Italie et la Suisse. Le plus dommageable est que l’outil de production français est dédié à 80% aux médicaments d’origine chimique, qui sont très largement externalisés vers les pays producteurs à bas coûts, tels que la Chine et l’Inde. Ce positionnement est incompatible avec des coûts de production structurellement élevés en France qui nécessitent de se positionner sur le haut de gamme, la production de biotech et de génomique. La France produit 3% des anticorps monoclonaux consommés en France mais 50% des produits non remboursés à faible service médical rendu (4) !
L’écosystème réglementaire des produits de santé est inefficace avec l’intervention de plusieurs agences (ANSM, HAS, CEPS) dont les missions s’enchevêtrent et l’usage de critères d’évaluation archaïques. Le très long délai d’accès au marché, entre l’autorisation de mise sur le marché et la commercialisation de 489 jours (vs 119 jours en Allemagne) illustre bien l’inefficacité du système (5).
Si on y ajoute que le marché français a perdu de son attractivité du fait de prix plus bas (-9% vs Allemagne), de prélèvements élevés (10,7% du chiffre d’affaires) et d’une croissance nette nulle depuis 2009 (6), on comprend mieux le déclin de notre industrie pharmaceutique nationale.
Enfin, l’industrie pharmaceutique a été victime d’une politique économique depuis trente ans qui a conduit à une désindustrialisation plus accrue en France que dans d’autres pays développés, avec une baisse de la part de PIB de 24% en 1980 à 12,5% en 2018 et à une perte de 2,5 millions d’emplois.
Un Airbus et une refonte systémique
Une voie de sortie de cette situation d’échec existe pour l’industrie française et la crise sanitaire peut servir d’effet de levier. D’abord, la France, pays de Pasteur et de Monod, est légitime pour créer un Airbus de l’ARN messager qui réunirait un consortium d’acteurs publics et privés dédiés à la recherche et à la production de produits innovants à base d’ARN messager (7). Le développement et la production massive de vaccins multivalents à base d’ARN messager va probablement s’avérer nécessaire pour mettre fin à la pandémie et nécessiter de mutualiser plusieurs ressources et expertises aujourd’hui disséminées. Ce parc technologique à base d’ARN messager, technologie d’avenir pour de nombreux traitements, sera le vaisseau amiral de la biotech qui manque à la France. Il a vocation à accueillir aussi des sociétés de biotech françaises qui travaillent sur d’autre technologies innovantes en santé.
Ensuite, une réforme systémique est nécessaire dans la recherche, la gouvernance et le financement des produits de santé. Doubler le financement public annuel de la recherche fondamentale et améliorer la collaboration université-entreprise sont incontournables. Le financement par appel à projets de la recherche fondamentale est à revaloriser pour donner une plus grande autonomie est à donner aux chercheurs les plus performants. Des fonds nationaux doivent financer davantage le capital des biotechs prometteuses. Les diverses agences existantes de régulation sont à regrouper au sein d’une seule agence de l’innovation, dotée des compétences nécessaires pour réguler le nouveau modèle d’affaire pharmaceutique. Une loi de programmation sanitaire à 5 ans est à instaurer pour donner une vision de long terme aux acteurs.
Ce coup de canif reçu dans notre fierté nationale doit nous faire réaliser la gravité de la situation mais aussi notre capacité à rebondir. Cette dernière exige d’agir vite et d’appliquer les mesures proposées supra qui sont à portée de main de la France si la volonté politique est forte. Les enjeux sont considérables pour l’avenir du pays !
Frédéric Bizard
(1) OCDE, Government budget allocations for R & D
(2) Banque Mondiale, University-industry collaboration in R & D
(3) France Biotech 2017
(4) Berger 2014
(5) EFPIA’s Patients Wait indicator, 2017-2017
(6) Données clés, le LEEM, Editions 2020
(7) Initiative proposée à l’Etat français par l’Institut Santé
Tribune publiée dans Le Monde le 6 février 2021
La recherche reste performante en France mais elle ne reçoit pas l’aide nécessaire de l’état qui devrait investir massivement dans ces entreprises ou faciliter leur déploiement, ainsi MODERNA dirigée par un français s’est développée aux USA Valvena en Écosse… Et pourtant SANOFI parage des bénéfice colossaux avec ses actionnaires sans aucun scrupule alors qu’il aurait paru plus décent de les partager entre certes les actionnaires mais aussi les salariés et la recherche-développement.
Bonjour Frederic
Encore une excellente analyse !