Alors que le Premier Ministre reçoit fin août les syndicats à Matignon pour discuter de l’assurance chômage, il est permis de s’interroger sur « la construction de l’Etat Providence du XXIème siècle » promise par le Président à Versailles le 9 juillet dernier. Pas de doute qu’il faille adapter notre modèle social au nouveau monde mais est-ce pour refonder un modèle à la française sur des bases républicaines ou le liquider pour un autre modèle ?
Le doute est permis sur le contenu réel de ce nouvel Etat providence
Dans ce même discours de Versailles, Macron dit que « la défiance a rongé la sécurité sociale ». Evoquant le financement croissant par la CSG, il considère qu’il « faut en tirer toutes les conséquences… il y a l’accès à un droit qu’offre la société mais sur lequel on ne s’est pas garanti à titre individuel puisque tous les contribuables l’ont payé ». Argument communément utilisé mais fallacieux, l’Etat deviendrait le payeur donc le décideur. Qui paie décide ! Le seul qui paie reste le citoyen, la décision de la gouvernance est politique et non économique.
Dans le même temps, des députés LREM faisaient voter un amendement en Commission des Affaires sociales pour remplacer le mot « sécurité », présent dans les articles 34,39,42,47-1, 48 et 49 de la Constitution française par le mot « protection ». Cet acte manqué à ce stade, la réforme constitutionnelle ayant été reporté, finit d’installer le doute sur le contenu du nouveau Etat providence. Le Gouvernement le voudrait-il sans la Sécurité Sociale ?
Cette vision réduite de la Sécurité Sociale comme un simple assureur social dont la principale raison d’être serait le financement par les cotisations est assez commun dans le paysage politique français, d’où le sérieux de la menace de la disparition de cette institution. Si les Gaullistes et les Communistes se sont entendus en 1945 pour l’instituer, c’était pour en faire avant tout une institution de la démocratie. Cette démocratie sociale gouvernante est devenue la pièce centrale de l’Etat social pour transformer la société française et la démocratiser ; l’autonomie individuelle étant l’objectif de ce travail démocratique.
L’Etat achève son travail de sape sans être capable de proposer une espérance
Si la défiance a rongé la sécurité sociale, c’est d’abord la responsabilité de l’Etat qui n’a cessé d’intervenir dans le pilotage des prestations et des cotisations, laissant dériver les comptes de l’institution à l’image de ses propres comptes. Malgré cela, la dette actuelle de la sécurité sociale (autour de 100 milliards d’euros) aura disparu en 2025 quand celle de l’Etat culminera encore autour de 80% du PIB. Prétendre que l’Etat serait plus efficace dans la gestion des comptes sociaux est une supercherie. L’Etat sera contraint dans un modèle social étatique de réduire sensiblement les prestations sociales pour contenir ses propres déficits.
La disparition de la sécurité sociale de la constitution n’a rien de sémantique, sauf à prendre les citoyens pour des imbéciles, mais marque la volonté non assumée politiquement de faire basculer notre modèle social vers un modèle étatiste à l’anglo-saxonne. Depuis 20 ans en santé, ce glissement est en marche avec une étatisation quasi complète de la gouvernance qui a tout simplement détruit le remarquable équilibre institutionnel de 1945, fondé sur l’autonomie des acteurs. Ne pas chercher ailleurs les causes de la crise actuelle de notre système de santé.
Ce choix du modèle social n’a rien de technique mais c’est celui d’un choix de société entre un système républicain et un système utilitariste. Le modèle utilitariste à l’anglaise est doté d’un système étatiste visant à instaurer prioritairement une protection minimale vis-à-vis des besoins primaires (notion de « safety net »). Il est inadapté à notre culture, qui fait de l’égalité des droits une frontière indépassable.
Oublier les spécificités culturelles françaises en y calquant un modèle social étranger est une garantie d’échec. Il faut comprendre les motivations et les systèmes de valeur à partir desquels les individus font leur choix pour mener une réforme en économie comme dans le social.
Seul un contrat social qui régénère la vie démocratique répondra aux enjeux
Le défi principal dans la refondation de notre modèle social est la reconstruction d’une gouvernance qui réinvente une démocratie sociale. L’Etat a laissé le paritarisme s’éteindre à petits feux plutôt que de régénérer de nouvelles formes de participation citoyenne à la vie sociale. Si la généralisation de la couverture sociale à l’ensemble de la population éloigne naturellement d’un financement assis sur la cotisation, elle exige d’élargir la représentation sociale au-delà des syndicats.
L’Etat n’a pas su sortir la sécurité sociale du statut du travailleur, ni notre société d’une société de statuts. C’est avant tout son échec.
Ce serait une erreur stratégique au XXIème siècle d’affaiblir ou de supprimer la démocratie sociale à heure de la numérisation de la société. Quel paradoxe de vanter les vertus de la responsabilité individuelle tout en extrayant le citoyen du pilotage de cette protection sociale. L’individu devrait ainsi s’investir dans la gestion du risque social mais pas dans celle du système responsable de son financement. On voit bien que ce choix politique est incohérent ; il est nourri de l’influence des lobbies financiers (qui attendent la mort de la sécurité sociale) et de l’incapacité de l’Etat de réinventer cette vie sociale démocratique.
Pour redéfinir notre modèle social, il faut repenser les frontières entre l’Etat et la société. C’est une délégation de service public à réinventer dont l’Etat doit réécrire les missions et redéfinir les acteurs. La campagne victorieuse de Macron avait largement reposé sur sa capacité à générer une énergie dans la société civile. Si l’exercice du pouvoir qu’il en fait n’est pas en conformité avec cette avancée démocratique, ses chances de succès sont limitées.
Les Français ne sont pas un peuple gaulois réfractaire au changement, il faut simplement leur proposer une espérance, un progrès et non une impasse. Comme disait Churchill « il n’y a rien de négatif dans le changement, si c’est dans la bonne direction » !
Frédéric Bizard
Article paru dans les Echos le 31 août 2018:
https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/cercle-186241-opinion-quel-modele-social-nous-prepare-emmanuel-macron-2201374.php
Joli plaidoyer. contre le gouvernement qui suit le cap du président de la république . Vous lui prêtez bien des intentions .
Et bien sûr avant son élection il n y avait pas de gouvernement ni président . 1945….Oui une belle date. …un peu facile ..depuis 8 présidents….mais bien sûr l actuel est porteur de tous les maux….
Et mille fois utilisé le spectre d une étatisation de la Santé à l anglo-saxonne. .. fatiguant ces mêmes ritournelles . Oui le monde tourne OUI nôtre système de PROTECTION SOCIALE a déjà changé ds les faits. Et notre démocratie républicaine est toujours là. Nous ne sommes pas d accord. Bien . Un constat et une vision différente de deux citoyens. Seul l’avenir nous apportera des éléments de vérité . Se servir du passé, OUI Mais pour construire l avenir, et sans nul soutenus le savez bien.