En octobre 2015, François Hollande célébrait les 70 ans de la sécurité sociale et la glorifiait en ces termes : « Notre devoir c’est de faire les choix nécessaires de réforme, de corriger ce qui doit l’être et surtout de donner aux jeunes générations confiance dans la sécurité sociale. Elle est à eux ». Plutôt que la réforme, les représentants des deux partis de gauche à la Présidence de la République marquent une rupture historique avec la sécurité sociale de 1945, qu’ils remplacent par l’État.
Disparition de la sécurité sociale et du mutualisme
Mélenchon propose une solution radicale avec la sécurité sociale intégrale qui revient ni plus ni moins à substituer l’État à la sécurité sociale. En voulant rembourser l’ensemble des soins à 100%, ce n’est plus une assurance maladie mais une agence d’État qui gouvernera un système national de santé publique que Mélenchon souhaite. C’est d’ailleurs en cohérence avec les autres mesures de son programme santé qui prévoient la suppression de toutes les structures non étatiques du système. Cliniques privées, professions libérales, mutuelles, assureurs privés… tout doit disparaître au profit d’instances publiques et de fonctionnaires d’État.
Hamon propose une version moins brutale de nationalisation mais la logique finale est la même. Il n’ose pas franchir la ligne rouge de la suppression des structures privées mais l’étatisation du système est bien présente. Son idée de taxe sur les robots pour financer la protection sociale a vocation à fiscaliser ce financement, première étape vers la nationalisation. Notre sécurité sociale est fondamentalement basée sur la contribution mutualisée de chaque actif à partir de ses revenus pour garantir la solidarité intergénérationnelle et la protection de chacun pour les risques de la vie. Le financement par une taxe sur les robots remet en cause cette logique. Sa proposition de revenu universel illustre aussi la volonté d’en finir avec la sécurité sociale au profit de politiques sociales publiques.
La rupture avec l’esprit de 1945 est encore plus forte si on se réfère à la volonté des pères fondateurs de faire dépendre notre modèle social de structures non étatiques dans un objectif de responsabilisation et d’émancipation des assurés. La sécurité sociale devait permettre aux individus d’être des citoyens conscients, actifs dans la gestion de leurs risques sociaux et dans la vie démocratique. L’étatisation de la protection sociale est une rupture avec l’idée de bâtir une démocratie sociale en parallèle de notre démocratie politique représentative. Certes le paritarisme existant est moribond et doit être complété par des instances représentatives des citoyens et pas simplement des salariés, mais du point de vue démocratique l’État social est incontestablement une régression.
L’autre rupture historique de la gauche est celle avec le monde mutualiste privé. Succession des sociétés de secours mutuels bâties par le monde ouvrier au début du XIXème siècle, les mutuelles ont historiquement été proches de la gauche. De nombreux leaders politiques de gauche ont dès leurs études baignées dans la vie mutualiste, proximité et connivence qui conduiront d’ailleurs à de multiples mélanges des genres et malversations. La collectivisation publique de la protection sociale est bien contraire à la protection sociale mutualiste qui s’appuie sur une affiliation individuelle volontaire à des sociétés de personnes gérées démocratiquement sur le principe de « une personne, une voie ».
Une évolution à contre-courant de l’histoire
Le fameux consensus de 1945 masque certes une ambiguïté entre le texte originel du Conseil National de la Résistance (CNR) qui évoque une sécurité sociale pour tous les citoyens et l’ordonnance de 1945 qui instaure une sécurité sociale pour les travailleurs et les familles. La gauche semble jouer de cette ambiguïté pour universaliser notre modèle social à partir de l’État et non de la sécurité sociale. C’est l’abandon définitif par la gauche d’un grand projet politique pour la sécurité sociale, la solidarisation de la société. Revenir à une solidarité étatique avec une dette publique de près de 100% du PIB d’une part et à l’époque d’une demande plus forte que jamais de démocratie participative intensifiée par l’émergence du digital dans tous les secteurs de la société d’autre part est à contre-courant de l’histoire. Surtout pour une gauche qui prétend vouloir construire une société plus juste et plus solidaire.
L’autre option, que la droite eut été bien inspirée de porter haut, est la mise en place d’un modèle universel de sécurité sociale, unifiant l’ensemble des régimes dans chaque branche pour disposer de régime unique universel de retraite, de santé, de chômage. Ce projet est aussi l’occasion de rattacher le risque chômage dans le giron de la sécurité sociale, pour en faire de cette dernière l’institution centrale de notre protection sociale.
Macron s’est avancé sur ce terrain avec sa réforme de retraites mais s’en est éloigné en proposant d’étatiser l’assurance chômage. Fillon promet plus ou moins le statut quo avec un objectif avant tout comptable d’équilibre des comptes. Il fait survivre la sécurité sociale sans proposer un projet politique d’émancipation individuelle à l’aune de la société digitale, ce qui alimente les soupçons sur sa volonté de vouloir privatiser l’assurance maladie. Une autre façon de tuer la sécu est en en effet de la réduire progressivement à une protection sociale pour les plus défavorisés, au profit des assureurs privés.
Si on en juge par les sondages actuels, la sécurité sociale devrait survivre au changement de pied historique de la gauche. Sans évoluer vers une sécurité sociale du citoyen et sans régénérer les instances démocratiques qui gouvernent cette sécurité sociale, il est probable que cette survie soit de courte durée. C’est un projet sans vision et sans souffle !
Frédéric Bizard