La convention nationale entre l’Assurance maladie et les dentistes s’est soldée fin janvier par un échec retentissant, avec une proposition rejetée à l’unanimité par les syndicats. Le passage en force par la voie arbitrale marque l’apothéose d’un quinquennat dédié à affaiblir le système conventionnel, pilier de la gouvernance des soins de ville. La révolte des chirurgiens-dentistes dépasse les intérêts corporatistes et a des enjeux majeurs pour l’avenir de notre système de santé.
Un retrait coupable de l’Assurance maladie du financement du secteur dentaire
Deux tiers de l’activité des dentistes (hors prothèses et implantologie) sont réalisés à perte. Les tarifs sécu de ces actes ont perdu plus de 50% de leur valeur réelle depuis 1990 et la liberté d’honoraires y est interdite. Ils sont 50% à 100% plus faible que dans les pays de l’Europe de l’Est. Ainsi, un détartrage est valorisé 28,92 euros en France contre 50 euros en Hongrie (90 euros en Allemagne) ; une extraction simple 33,44 euros en France contre 45 euros en Hongrie (81 euros en Allemagne). Malgré cela, le système de santé bucco-dentaire français s’est appuyé avec succès sur les 92% de dentistes exerçant en libéral. Dans les années 1980, l’indice CAO (cariées, absentes, obturées) était de 5 dents chez les enfants de moins de 12 ans contre 0,8 aujourd’hui. 99% des Français ont un dentiste à moins de 10km de chez eux.
L’équilibre économique des cabinets dentaires est conditionné par la rentabilité de l’autre tiers d’activité (prothèses, implantologie) sur lequel la sécu intervient peu ou pas du tout. Le tarif moyen d’une prothèse dentaire (couronne céramo-métallique) est de 700 euros, soit près de dix fois le prix remboursé par la sécurité sociale (70% du tarif de 107,5 euros), ce dernier n’ayant pas varié depuis 30 ans. Si ce tarif moyen se justifie au regard du coût de production d’un tel acte réalisé dans des standards élevés de qualité (radiographie, 3 séances, prothèse de qualité…), il est incontestable que le reste à charge supérieur à 350 euros pour la plupart des contrats des complémentaires santé créée des difficultés d’accès aux soins pour une partie de la population (18% des assurés y renonceraient).
Les causes de ce dysfonctionnement de la couverture assurantielle privée sont bien connues – différenciation des contrats entre actifs et inactifs, opacité du marché, absence de régulation des opérateurs financiers, système à deux étages coûteux – mais inavouables aussi bien pour les Pouvoirs Publics qui en sont responsables que pour les opérateurs financiers qui en tirent un large profit financier (une rente). Ainsi, il faut bien trouver un bouc émissaire à ces difficultés d’accès aux soins, le professionnel de santé est tout désigné, suspect en règle générale, présumé coupable quand il est en exercice libéral.
Les deux mesures de rétorsion contre les professionnels libéraux appliqués dans le quinquennat Hollande sont leur exclusion de fait de la gouvernance et les réseaux de soins étendus aux mutuelles.
Le cœur du combat est le choix explicite des Pouvoirs Publics pour la santé low-cost
La proposition de l’assurance maladie aux syndicats dentaires de relever de quelques euros la valeur de certains actes courants en contrepartie d’un plafonnement des soins prothétiques en deçà du prix moyen pratiqué en France met en péril l’ équilibre économique des cabinets dentaires énoncé supra. Il ne permet pas la rentabilité de l’activité principale du dentiste, tout en diminuant celle qui assurait son équilibre global. Cette proposition est en l’état inacceptable économiquement mais l’enjeu à terme est la capacité de notre système à délivrer des soins de qualité pour tous.
Le secteur dentaire a vu fleurir depuis dix ans des centaines de centres low-cost qui fonctionnent sur un modèle d’industrialisation des soins prothétiques de qualité dégradée à haut volume d’activité. Les centres Dentexia en Rhône-Alpes, portés par un paravent associatif loi 1901, ont réussi l’exploit de gravement mutiler plus de 2000 patients, pour un coût de reprise des soins des victimes évalués à 10 millions d’euros aux frais du contribuable. Il existerait plus de 60 associations porteuses de centres de destruction de la santé bucco-dentaire des Français les plus défavorisés. Cette américanisation de notre système n’est pas le fruit du hasard.
Le système des réseaux de soins (loi Le Roux, 2013) est le levier principal pour développer ces centres low cost. Associant un meilleur taux de couverture et des prix bas, l’alliance implicite entre ces plateformes commerciales sans aucune compétence médicale et ces marchands low-cost de la santé est une menace de premier plan pour le respect de l’égalité d’accès à des soins de bonne qualité pour tous. Cette égalité n’est effective que si elle intègre la qualité. Les professionnels adhérents à ces réseaux des soins doivent savoir qu’ils nourrissent ce cercle vicieux qui conduit inévitablement à la mort de l’exercice libéral.
Les dentistes libéraux, comme les autres professionnels de santé, ne peuvent développer une patientèle suffisante que s’ils garantissent une qualité de soins et de services optimale. De plus, ils sont tenus déontologiquement de « traiter avec la même conscience toutes les personnes ». Ils sont donc en réalité les meilleurs remparts face au risque de discrimination des soins (en accès et qualité) en fonction de la situation sociale et économique des personnes. Leur participation à la gouvernance des soins, par la politique conventionnelle notamment, est ainsi la clé de voute du respect des valeurs d’égalité et de liberté de notre système de santé. Elle doit être renforcée dans l’intérêt général.
Fin 2016, le gouvernement a fait voter un amendement à la loi de financement de la sécurité sociale permettant d’imposer un règlement arbitral à la négociation en cours. Détruisant la confiance entre les parties, il a de fait provoqué l’échec de la négociation et affaiblit durablement lé démocratie sanitaire, pilier de la gouvernance de notre système de santé. Le combat des dentistes exprime une résistance contre cette dilapidation de notre système de santé, qui fait que deux tiers des Français n’ont plus confiance dans son avenir.
Voltaire considérait qu’il n’y avait pas de hasard ou tout du moins que « le hasard n’est et ne peut être que la cause ignorée d’un effet connu ». Réseaux de soins et exclusion des professionnels de santé de la gouvernance ont le même effet connu et inévitable de creuser les inégalités de soins. Pas de hasard…
Frédéric Bizard
Article très intéressant qui nous renseigne sur la situation difficile des dentistes français. Certains de mes collègues anglophones du Canada aimeraient savoir s’il existe une version anglaise de votre article … Merci de m’en donner des nouvelles…
Louis-René Charette, dentiste pédiatrique, Montréal, QC, Canada
Exposé clair et juste. Comment se battre contre un gouvernement autoritarite sinon par la force et la violence ? Malheureusement !! … la situation est très stressante: il s’agit de vie ou de mort de notre profession !?