Dès sa prise de fonction, Marisol Touraine dénonçait les « dérives tarifaires inacceptables » des médecins libéraux sur lesquels il était temps de « mettre en place un système de sanctions directs et rapides ». Aucun chiffre à l’appui mais le ton était donné. Six mois après l’oukase de la Ministre, le contrat d’accès aux soins (CAS) était signé. Quatre ans plus tard, la même Ministre a renouvelé son oukase pour la négociation conventionnelle en cours : pas de revalorisation des tarifs de remboursement sans renoncement à sa liberté tarifaire (secteur 2). En réalité, ce CAS est un marché de dupes pour les usagers comme pour les médecins.
Un accouchement forcé et un échec à ce jour
Signé fin octobre 2012 dans des conditions guignolesques, l’avenant 8 prévoyait l’ouverture du CAS pour la mi-2013 sous réserve qu’au moins un tiers des médecins éligibles (soit environ 10 000) y aient souscrit. Malgré les fortes pressions de l’assurance maladie tout au long de l’année 2013, ce seuil ne sera jamais atteint. Il faudra la signature d’un autre avenant courant 2013, supprimant ce seuil d’un tiers, pour rendre possible son entrée en vigueur.
Fin 2013, sur les quelques 9000 médecins signataires, 2000 étaient en secteur 1 et 7000 en secteur 2 (1). Fin 2015, 7 984 médecins de secteur 2 ont adhéré au CAS, soit un nombre qui rendrait l’ouverture du CAS toujours impossible selon les règles de départ. Et encore, ce nombre inclut des effets d’aubaine conséquents : outre les médecins du secteur 1 qui disposaient des titres pour exercer en secteur 2 (3375 à fin 2015), ceux de secteur 2 qui ont adhéré sont pour la plupart des médecins qui pratiquent des faibles dépassements, avec un investissement dans le cabinet médical amorti. Seulement 75% des médecins signataires arrivent à tenir les engagements de leur contrat et ce nombre ne cessera de diminuer.
Ainsi, l’adhésion sur le terrain de cette mesure hors-sol n’a pas pris et le CAS n’a aucun avenir sauf à procéder par la contrainte, ce à quoi va s’employer l’assurance maladie.
Du point de vue des assurés, l’accès aux soins s’est dégradé par le double effet d’un taux d’installation faible en libéral et d’une moindre couverture des compléments d’honoraires par les organismes complémentaires d’Assurance maladie (OCAM). En réalité, le CAS n’a aucun impact sur l’accès aux soins. Le taux de dépassement moyen des médecins adhérents à fin 2015 était de 23% soit 5,30 euros, portant la consultation de base à 28,3 euros. On voit bien que le CAS ne réduit pas le vrai risque lié aux dépassements. Sur l’ensemble des médecins, ce taux est de 53%, soit une valeur de 12 euros sur la consultation de base qui s’évalue à 35 euros en secteur 2. Sans le CAS, il parait que la valeur du dépassement se serait envolée à 14 euros, et donc la consultation de base du spécialiste à 37 euros. Seul le principe, malheureusement courant en politique en France, de montrer qu’on agit sans se préoccuper de l’objectif réel (accès pour tous à des soins de qualité ici) ne peut expliquer une telle auto-satisfaction.
Une logique de chantage, un frein à l’innovation et un renfort pour la rente des OCAM
Sans bénéfice pour les patients ni pour les médecins, le CAS tourne à un chantage entre l’assurance maladie et les syndicats de médecins. La position de l’assurance maladie revient à dire « tout est négociable à condition que vous vous pliez à nos souhaits pour le CAS ». Pour le médecin, l’adhésion au CAS est un marché de dupes qui se fonde sur l’accusation originelle de la Ministre le rendant seul coupable des difficultés d’accès aux soins. La convention du 29 mai 1980 autorisant la liberté tarifaire prévoyait un transfert de financement d’une part des honoraires médicaux aux organismes complémentaires, afin de mieux maîtriser la hausse des dépenses publiques (l’objectif était de les maintenir au niveau de croissance de la richesse nationale) tout en assurant le financement de l’innovation. Le CAS fait dépendre l’accès aux soins de la baisse des compléments d’honoraires et non de leur solvabilisation. Ce serait donc maintenant au médecin et à l’assurance maladie d’en porter le fardeau. Exit la responsabilité des OCAM, pour lesquels les Français ont pourtant souscrit pour 35 milliards d’euros de primes d’assurance pour financer leurs soins!
Cette logique du CAS de maintenir des tarifs faibles est contre-nature avec une économie de l’innovation et du besoin de réorganisation des soins. D’ailleurs, les médecins du secteur 1 sont dans l’incapacité de financer la restructuration de leur cabinet et l’investissement dans les nouvelles technologies. En ophtalmologie par exemple, les médecins de secteur 2 ont réussi à financer l’instauration du travail aidé avec les orthoptistes mais pas ceux de secteur 1. L’actuelle convention prévoirait une subvention de 15000 euros pour le secteur 1 à cet effet.
D’une logique libérale régulée qui laisse au médecin entrepreneur la responsabilité de l’innovation, on passe à une logique dirigiste et étatiste qui confie au financeur le choix de l’organisation du médecin. La théorie économique a largement démontré les limites de la seconde logique, en particulier pour des petites structures.
Le CAS est aussi un marché de dupes pour l’assuré. Il ne fait que détourner le débat du sujet central : le taux de couverture des compléments d’honoraires par les OCAM. A cause du plafonnement de leur remboursement par les pouvoirs publics en 2014 et du laisser-faire qui fait office de régulation de ce marché, la couverture du risque se dégrade. Rappelons que le reste à charge (après remboursement par l’assurance maladie) en honoraires médicaux de ville (6,6 milliards €) se répartit entre les tickets modérateurs (4), les dépassements (1,9) et les soins non remboursables (0,8). Sur les 35 milliards d’euros de primes souscrits par les Français en complémentaire santé, 4 milliards servent au remboursement de ces honoraires soit plus de deux fois la somme nécessaire pour couvrir les dépassements.
Les tickets modérateurs et les soins non remboursables ne représentant aucun risque de renoncement à des soins essentiels, une régulation efficace du marché permettrait sans difficulté de couvrir le risque des dépassements. Aucun fondement économique ne permet d’étayer la création du CAS. Avec ce dernier, l’assuré connaît une hausse de ses primes de contrat et une baisse de ses remboursements à court terme, une baisse de la qualité de prise en charge à moyen terme. Le seul apport tangible du CAS est le renforcement de la rente des OCAM en concentrant leur remboursement sur des produits sans risque comme les tickets modérateurs et en les désengageant de leur responsabilité sur les dépassements.
Comme toute initiative politique qui vise à faire croire que le dysfonctionnement général d’un système est dû aux abus de quelques-uns, le CAS est une solution démagogique et sans avenir. C’est une rustine sur un système de financement à bout de souffle, qui nécessite une réforme structurelle que nous avons déjà proposée (2).
Aux syndicats médicaux de juger s’ils doivent se faire complice d’un marché de dupes que leur base a déjà largement rejeté!
Frédéric Bizard
(1) Il existe deux secteurs d’appartenance à la Convention Médicale, le secteur 1 et le secteur 2. Les médecins conventionnés secteur 1 appliquent les tarifs de base de la Sécurité Sociale qui, en contrepartie, allège d’une fraction les charges sociales du médecin secteur 1. Les médecins conventionnés secteur 2 appliquent les tarifs qu’ils souhaitent « avec tact et mesure », mais paient en totalité leurs charges sociales.
(2) Voir pages 123-159 du livre « Politique de santé : réussir le changement », Editions Dunod, Septembre 2015